Olivia Paroldi
Celle qui porte la forêt
Dans cette œuvre gravée, une figure féminine, sous les traits d’une passante anonyme, émerge de la matière comme une présence ancienne, silencieuse et puissante. Elle est l’âme vivante de la forêt Saint-Maurice, représentée selon les traditions spirituelles autochtones qui reconnaissent en chaque élément de la nature une conscience propre, un esprit digne de respect.
À travers son torse, le fleuve Saint-Maurice s’écoule comme une artère principale, porteur de mémoire, de vie et de continuité. Ses poumons sont formés par les grandes forêts de pins, d’érables et de bouleaux qui respirent pour elle. Sa peau est tissée de mousses, de fougères, de racines et de fleurs locales. Son regard, calme et profond, reflète l’intemporalité du territoire.
Son visage, serein et ancien, émerge du bois comme s’il avait toujours été là. À travers sa poitrine, le fleuve Saint-Maurice coule, artère palpitante qui irrigue son être. Ce courant ancestral, nourricier et infatigable, symbolise la mémoire vivante du territoire et le lien entre les peuples et leur terre.
De ses flancs s’élèvent des forêts profondes : cèdres, bouleaux, pins et érables tressent ses poumons. Chaque arbre, chaque souffle de vent dans les feuilles, chaque chant d’oiseau, fait vibrer son essence. Elle respire au rythme des saisons, et son souffle porte les récits anciens, ceux transmis au fil du temps par les Premières Nations.
Son corps entier est façonné de la végétation locale — fougères, lichens, mousses, racines entrelacées. Son épiderme se fond dans la texture de la terre. Dans sa chevelure s'enroulent des rameaux, des graines, des fleurs sauvages. Elle est la gardienne des cycles de la vie, à la fois fertile et fragile, omniprésente et discrète.
Cette femme-forêt n’est pas un simple symbole : elle est la conscience du territoire. Elle rappelle que l’eau, l’air et la terre ne sont pas des ressources à exploiter, mais des esprits à honorer. À travers cette gravure, elle nous parle d’interdépendance, de respect et de réciprocité — valeurs fondamentales de la vision autochtone du monde.
Elle incarne une conception du monde dans laquelle les rivières, les montagnes, les arbres ne sont pas des objets à exploiter mais des entités vivantes, liées à l’humain dans une relation de réciprocité. Cette vision, trouve aujourd’hui un écho dans les mouvements juridiques contemporains qui cherchent à faire reconnaître juridiquement les milieux naturels comme des sujets de droits.
Née à Paris dans les années 80, Olivia Paroldi grandit près de Montmartre dans l’un des quartiers les plus populaires et cosmopolites de la capitale. Elle en garde la richesse produite par la rencontre des gens d’horizons variés. Quelques années plus tard elle choisit de se spécialiser dans les arts graphiques à l’école Estienne, Olivia se spécialise dans la gravure sur bois. Des années de pratique en lien avec les métiers du livre et de l’illustration scientifique lui ont d’abord permis de mettre son talent au service du handicap, de la transmission et de la pédagogie.
Dans un premier temps graveuse pour l’Institut National des Jeunes Aveugles, ses créations de supports éducatifs et son travail de gravure en relief pour l’apprentissage des jeunes malvoyants la sensibilisent durablement à l’univers de l’enfant et son imaginaire poétique. Des rencontres et expériences qui ont conforté sa manière profondément humaniste d’être au monde et sa démarche artistique : mettre en lumière les invisibles, pour en dévoiler la beauté, avec pudeur et délicatesse.
Prenant son envol comme artiste, Olivia Paroldi a tourné son regard vers l’Autre fragile et vulnérable. C’est par des séries d’estampes qu’elle va tracer un cheminement créatif qui lui ressemble : son œuvre est empreinte d’une douceur et d’une bienveillance infinies. Depuis une dizaine d’années, elle apporte des éclats précieux dans les rues des villes : ses « estampes urbaines » en collages, surgissent comme des moments de grâce pour les promeneurs qui savent ouvrir les yeux. Ce sont des rencontres avec des belles âmes dont l’artiste a dessiné les traits avec la légèreté d’une poésie. Les estampes collées sur les lieux de passage sont aussi discrètes que les invisibles qu’elle représentent. Le vent et la pluie vont faire leur œuvre, révéler les fragments d’une beauté éphémère et précieuse comme la mémoire d’un visage et d’une histoire. La dichromie bleutée de la gravure va s’estomper au fil des jours, tissant un fil entre la présence et l’absence.
Le rapport au temps mémoriel qui marque l’œuvre d’Olivia Paroldi tient aussi à cette technique ancestrale qu’elle met au service de questionnements contemporains. Pour l’artiste, ces estampes de rues sont de petites vies de papier, une invitation à laisser effleurer nos imaginaires. Et au-delà de l’émotion esthétique singulière qui peut nous transporter lors de la contemplation de ces collages qui racontent une histoire, c’est aussi l’humanisme qui émane du projet artistique qui nous donne à interroger le monde.
Différentes séries d’estampes sont venues des engagements de l’artiste portés vers la protection de l’enfant et l’accueil des vies en marge.
Olivia Paroldi expose son travail depuis plusieurs années dans de multiples musées et instituts culturels français dont le Centre d’art contemporain d’Aubagne ou le Musée d’Histoire de Lyon mais également à l’étranger : Tunisie, Mexique, Italie, Canada…